Angélique, la tortue
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Angélique était une tortue très ramasseuse. La journée entière, elle cherchait et s’agitait pour trouver et ramassser le plus de choses possibles. Elle avait toujours l’impression de ne pas en avoir assez, d’avoir besoin d’encore plus d’objets et elle était toujours en quête de trésors.
Elle ramassait ses trésors et les rangeait avec soin un par un, juste en-dessous de sa carapace : des bâtons, des cailloux, des petits pois et tout ce qu’elle trouvait de spécial. Et lorsqu’elle tombait sur une pièce de monnaie, elle éclatait de joie et la cachait vite vite avant que quelqu’un ne l’observe.
Chaque soir, avant de s’endormir, Angélique mettait sa tête à l’intérieur de sa carapace et commençait à vérifier méticuleusement son trésor :
– J’ai le bâton long, le bâton court, le grand caillou et le petit caillou, j’ai la pièce dorée, les deux glands, le marron, le noyau d’avocat, la graine de citrouille, j’ai le bout de papier bleu, le grain de riz, la ficelle verte et j’ai la Perle blanche, ah oui ma chère petite perle !
Elle les caressait et les aimait tous mais surtout la Perle blanche. Elle l’avait reçue il y a longtemps de son arrière grand-mère, une tortue très sage et débrouillarde. Elle s’endormait, la Perle dans les pattes et la tête parmi les autres objets.
Chaque jour, Angélique alourdissait de plus en plus sa carapace avec toutes sortes d’objets et bougeait de plus en plus difficilement.
– Oh qu’elle est lourde ma carapace ! murmurait-t-elle essoufflée.
Mais hélas, elle ne pouvait renoncer à aucun objet, elle les poussait et les entassait avec force les uns contre les autres. A peine eut-elle fait un pas qu’elle entendit un objet rouler et tomber de sa carapace mais Angélique l’attrapa immédiatement dans son bec et le jeta à l’intérieur. Elle n’avait plus de place pour dormir au milieu des objets mais elle ne pouvait pas dormir sans eux.
Le trésor s’agrandissait et en même temps que lui, la peur de le perdre.
Par peur de perdre quelque chose, Angélique avait renoncé à sortir se promener avec les autres tortues ! Elle n’allait plus à la piscine avec elles et ne cherchait plus des feuilles délicieuses de persil. Elle se cachait derrière une roche et comptait les objets de sa carapace encore et encore. Ensuite elle sortait la tête et les grands yeux et observait tout autour d’elle pour être certaine qu’il n’y avait aucun danger pour son trésor. Après elle entrait dans sa carapace et recommençait à compter.
Elle avait si peur de perdre toute sa fortune qu’elle restait figée et collée à la roche et surveillait son trésor. Elle avait faim mais elle pouvait encore résister, le trésor était plus important ! Un bain dans la rivière lui manquait mais le trésor était plus important !
Elle entendait de loin, comme dans un rêve, les fous rires de joie des autres tortues qui jouaient et s’éclataient dans l’eau de la rivière, mais elle ne voulait rien savoir !
« Rien que des bêtises ! grognait-elle »
Et elle restait cachée derrière la roche et criait vers le ciel :
« – Va-t-en Soleil, c’est à moi le trésor ! Allez-vous-en nuages curieux ! Je ne vous donnerai rien ! »
Les autres tortues n’essayaient même plus de lui parler et de l’inviter à jouer car Angélique les grondait et ne voulait plus être dérangée.
Le matin, Angélique se réveillait effrayée rien qu’à penser que son trésor avait disparu et elle recommençait a compter les objets.
Un jour qu’elle restait immobile, elle entendit comme dans un rêve :
– Les fraises ! Les fraises sont apparues ! Et elle vit de loin toutes les tortues se bousculant et se poussant tout en riant et en se roulant l’une sur l’autre pour arriver au buisson rempli de fraises rouges. Cela faisait si longtemps qu’elles attendait les fraises mûrir.
Les tortues éclataient de joie, jetaient les fraises vers le haut et sautaient pour les attraper et les manger avec gourmandise.
Les fraises étaient les préférées d’Angélique aussi. Mais comment faire pour arriver au buisson de fraises ? Elle pourrait s’y déplacer mais les objets de sa carapace pourraient rouler dehors et elle risquait de les perdre. Elle aurait pu laisser les objets les uns sur les autres en monticule à côté de la roche, le temps qu’elle aille chercher une fraise. Mais c’était trop risqué, et si quelqu’un s’emparait de son trésor ? Elle aurait pu demander aux autres tortues de lui apporter quelques fraises mais les tortues ne lui parlaient plus.
Que faire ? Comment faire pour arriver aux fraises ?
Elle se leva et fit timidement un pas mais elle entendit tout de suite le bruit des objets qui se cognaient à l’intérieur de sa carapace, c’était trop dangereux de partir.
Elle voyait déjà les tortues contentes et le ventre plein, s’éloignant du buisson vide. Elles allaient murmurant vers la rivière pour se laver les pattes du jus de fraises.
Angélique baissa les yeux tristement.
« – Il en reste encore une ! s’époumona une voix sérieuse. La plus vieille et sage des tortues était venue à côté d’elle.
« – Je parie que j’arriverai avant toi à la fraise qui reste ! » la provoqua la vieille tortue.
« – Hahaha tu me fais rire ! Tu es la plus vieille des tortues, tu peux à peine marcher, c’est sûr que j’arriverai la première ! »
« – On va voir ! » Et la vieille tortue démarra doucement mais sûre d’elle, le long du sentier vers le buisson.
Angélique en resta éblouie et se demanda : « Est-ce que je pourrais arriver avant elle ? » Plutôt curieuse, Angélique se leva à nouveau. Elle fit un pas et encore un pas. Tout comme la première fois, les objets de sa carapace se heurtèrent les uns contre les autres mais elle continua de marcher accompagnée par le bruit. Les yeux fixés sur la fraise au loin, Angélique trébucha et le vilain noyau d’avocat roula dehors.
« – Oh mon noyau d’avocat ! » Mais la vieille tortue s’était éloignée et elle n’avait pas de temps à perdre.
« – Je viendrai le chercher plus tard ! » et elle continua le chemin vers la fraise.
Il lui semblait être plus légère maintenant. Elle prit courage et descendit à travers les pierres. Mais le grand bâton et le petit bâton glissèrent également sur le chemin. Le petit et le grand cailloux suivirent. Elle ne se rendit même pas compte que les pièces de monnaie sautèrent hors de la carapace et frappèrent l’écorce d’un arbre. Le marron et les glands arrivèrent dans l’assiette d’un écureuil, la graine de citrouille se lança comme une flèche vers le sol, la ficelle verte se noua autour de la queue d’un lapin et la graine de riz se cacha derrière un brin d’herbe.
Il n’y avait plus que la Perle blanche qui sautait dans tous les sens à l’intérieur de la carapace vide.
Angélique se sentait si légère maintenant, elle aimait cette nouvelle sensation de liberté et de force. Elle arriva à côté de la vieille tortue, la doubla et la dépassa. Puis, elle prit de l’élan et sauta d’une roche et atterrit directement les dents plantées dans la fraise.
La vielle tortue l’attrappa essoufflée et applaudit :
« – Le vrai trésor n’est pas dans ta carapace ! Mais dans ce que tu peux faire ! Tu as réussi à voler jusqu’à la fraise ! »
Angélique se sentait enfin libre et heureuse !
« – Maintenant je n’ai plus besoin de rien dans ma carapace ! » Elle sortit la Perle blanche et le sourire aux lèvres, elle la jeta vers le ciel. La Perle blanche s’envola vers le haut, encore plus haut puis elle retomba avec un bruit fort dans l’eau. Des gouttes d’eau sautèrent sur le petit nez d’Angélique.
Maintenant elle était si légère qu’elle pouvait monter sur le tronc des arbres et s’envoler avec les papillons ! Angélique avait compris que le vrai trésor est caché à l’intérieur d’elle-même, dans ce qu’elle peut faire !
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